dernière image que les apôtres ont pu voir de Jésus, le jour de son départ définitif, l’ascension, ce sont ses deux mains bénissantes. Cette bénédiction les rend joyeux, et la première chose qu’ils font est d’apporter cette joie au Temple.
Jésus était une voix familière, une bouche qui parle. Les disciples se souviennent de son regard aimant, de ses yeux parfois pleins de colère. Il était une oreille attentive, à l’écoute du Père et des hommes qui crient vers lui… Il était aussi, cela semble peut-être banal, deux mains. Des mains qui font du bien, des mains bénissantes. Car bénir, ce n’est pas simplement « dire du bien » avec des mots, mais faire du bien avec ses mains.
J’aime que le mot « main » rime avec le mot « humain ». Nous sommes énormément humains grâce à nos mains. Jésus, s’est incarné profondément par ses mains.
Il a d’abord été charpentier-maçon, travaillant de ses mains. Les mains de Jésus ont anobli le travail, et le travail anoblit nos mains ! Je suis touché quand je vois ces mains de travailleurs, mains de paysans ou d’ouvriers, mains de mamans, qui se tendent pour accueillir l’hostie au moment de la communion. Mains épaisses et rugueuses, mains fines et douces. Elles sont belles ces mains !
Jésus aimait imposer ses mains sur les enfants qu’on lui présentait. Il les bénissait et il les caressait. Pour caresser, il faut lâcher l’outil avec lequel on travaille. La main doit être nue, entièrement disponible pour la relation vivante. Caresser est un geste de gratuité. Sous les caresses, on prend conscience que l’on est vivant. Caresser, c’est dire à l’autre : tu existes, tu as du prix à mes yeux, sois vivant très fort. Caresser est un geste d’amour.
Jean, un fermier qui venait témoigner de sa reconversion à l’agriculture dite « bio » raconte : « Mes vaches étaient toujours malades, le vétérinaire passait à la ferme presque tous les jours. Un jour, il me demande : « Est-ce que vous caressez vos vaches ? Est-ce que vous leur parlez ? » Et j’ai appris. J’ai pris du temps pour les caresser. Et le vétérinaire venait beaucoup moins souvent ! » … Et Jean ajoute, discrètement, humblement : « … et avec ma femme aussi, c’est mieux ! … »
Jésus a touché les lépreux, qui étaient déclarés intouchables et devaient vivre à l’écart. Par son geste de la main, il réfute les peurs, il refuse les exclusions, il réhabilite, il réintègre dans la société.
Ses mains avaient le pouvoir de faire advenir la santé, de donner de la Vie à la vie. Il prend la main de la belle-mère de Pierre et la remet debout : dans les évangiles, l’expression « remettre debout » n’est pas banale, c’est une des expressions utilisées pour parler de la résurrection de Jésus. Il prend la main de la fille de 12 ans, il lui dit « lève-toi », littéralement : « ressuscite ! ». Il touche le cercueil du jeune-homme de Naïm et rend l’enfant à sa mère. Le samaritain qui met du vin et de l’huile sur les blessures de l’homme laissé pour mort par des brigands, c’est lui ! Avant le dernier repas d’amitié, il lave les pieds de ses disciples en signe d’hospitalité.
Dans le récit de la transfiguration, nous sommes tellement fascinés par le Jésus lumineux que nous oublions la suite : Jésus s’approche des apôtres terrifiés, allongés face contre terre, il les touche et les rassure : « il s’approcha, les toucha » dit le texte. Ce n’est qu’après ce contact d’une infinie délicatesse que Jésus leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ». Mettez-vous debout …
Les mains de Jésus, ses mains qui bénissent et envahissent tout le ciel dans le récit de l’ascension, ne sont pas n’importe quelles mains, ce sont des mains blessées, des mains qui renvoient aux blessures dont trop d’humains souffrent, des mains aussi qui dénoncent les méchancetés des hommes. Mais ce sont en même temps des mains ressuscitées, des mains vivantes par lesquelles nous le reconnaissons. Jésus nous bénit avec ses souffrances, parce que ses souffrances n’ont pas eu raison de sa foi en l’humain, de son espérance dans des lendemains meilleurs.
Les mains de Jésus sont les mains de Dieu. Car dans la Bible, on évoque souvent les mains de Dieu. Jésus fait de la boue pour la mettre sur les yeux de l’aveugle, et ce geste rappelle que Dieu pris de la glaise et façonné l’adam. Lorsqu’on lui amène une femme surprise en adultère, Jésus se baisse et écrit avec son doigt sur les dalles de pierre du temple : il imite la main de Dieu qui écrit la Loi de vie sur les tables de pierre pour les mettre dans les mains de Moïse. La Bible évoque souvent les mains de Dieu dans les psaumes : « Ta main me saisit, ta droite me conduit, tu as posé ta main sur mon épaule. » (ps. 138).
La main est faite pour aider, pour rassurer. Je pense à cette petite fille de 10 ans qui se promène un soir avec sa famille. Il fait de plus en plus noir, et tout à coup le chemin déjà incertain entre dans un bois complètement obscur. Alors, on entend la petite fille qui fait cette prière surprenante : « Mon Dieu, faites qu’on se perde ! … » Et vite elle prend la main de son parrain. Il est bon de prendre conscience que l’on a besoin d’être sauvé avant de tendre la main à Dieu. Péguy le disait : ce qui fait le chrétien, ce n’est pas l’étiage, le niveau de sa vie morale… ce qui fait le chrétien, c’est qu’il donne la main.
Dieu nous prend par la main, mais ce n’est pas pour nous retenir, il nous lâche la main pour nous laisser libre, et c’est alors la main sur l’épaule, geste qui rassure, qui encourage, qui invite à aller de l’avant. Dans le récit de l’assomption, Jésus lâche la main aux disciples, mais en les bénissant, c’est comme s’il posait sa main sur leurs épaules pour les inviter à aller de l’avant. Jésus leur fait confiance et ils en sont tout joyeux ! Ils deviennent les mains de Dieu pour agir sur le monde aujourd’hui et demain. Voilà l’essentiel du baptême : devenir les mains de Dieu.
Jean-François MEURS
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